lundi 4 juin 2018

Retour sur le championnat d'Europe 2018 de 24 heures













Médaille d'Or par équipe
Voilà plus d'une semaine, nous étions en pleine action depuis le tout début de matinée.

L'équipe d'encadrement au complet (coachs et staff médical) s'est rendue dès 7 heures  du matin sur le circuit situé à un peu moins d'un kilomètre de notre hôtel. Nous sommes chargés comme des "mules" avec une multitude de matériel et autre ravitaillement nécessaires aux athlètes qui trois heures plus tard prendront le départ de ce championnat d'Europe édition 2018.


Nous disposons d'une tente de 3 mètres de large sur 6 mètres de profondeur. En revanche, seulement deux tables à notre disposition, ce qui faisait 6 athlètes à répartir sur 80cm... Depuis trois ans, nous avons mis en place un système de barquettes qui nous permet de proposer un ravitaillement spécifique à chaque athlète au tour par tour avec une probabilité d'erreur assez faible.

Fiche 1 protocoles


Stand ravitaillement (2h avant le départ)

































Pendant ce temps, Cindie, Julie et Cyprien s'occupaient d'installer l'arrière de la tente avec notamment les cordes à linge pour le séchage si nécessaire, la table de massage, le matériel médical, et cette année, à l'arrière de la tente, posée sur l'herbe, une piscine gonflable de jardin en cas de gros coup de chaud pour un athlète, gonflée à la bouche par Julie et Cyprien, sans oublier le petit canapé auto-gonflable...













Vers 8heures, arrivée à pied des premiers athlètes de la délégation avec pour chacun le ravito perso ainsi que des affaires de rechange (vêtement, chaussures, etc). Autant dire qu'à ce moment là, sous la tente, il faut avoir de bonnes compétences en matière d'organisation logistique (et parfois parler un peu fort)  pour que ce ne soit pas rapidement "le foutoir". Les pesées d'avant course sont réalisées pour chaque athlète du clan Français.


Au niveau des athlètes, tous semblent sereins et bien moins stressés qu'avant le départ de Belfast en juillet dernier. Les puces à la cheville sont réceptionnées en complément de la puce dossard. Double contrôle au niveau du comptage des tours pour éviter le gros raté de Belfast. Les encouragements sont de rigueur car courir 24h non stop n'est pas chose facile même si on s'est bien entraîné pendant plusieurs mois.

Quelques "supporters" français sont là (famille, amis et/ou entraîneur) et je ne peux que les remercier car leur présence est nécessairement "un plus" pour l'athlète lorsque comme moi, on court "à l'affectif" et notamment Stéphane qui aura la joie de voir ses garçons Pierre Antoine et Guillaume qui lui ont fait l'heureuse surprise d'arriver durant l'après-midi.



C'est l’effervescence devant les stands, il y a beaucoup d'agitation.



9h45 : Une photo du staff et une autre de l'équipe avec quelques absents partis se concentrer ou rendus aux toilettes.

9h50 : tout est prêt au stand, on se rend ensemble sur la ligne de départ, en tant qu'ancien athlète, je savoure ces moments et je sais combien quelques mots simples des coachs peuvent t'aider à "te donner" encore davantage.












10h : caméscope en main, je filme le premier passage de tous les coureurs devant notre stand. L'athlète Sorokin de Lituanie part bille en tête comme à son habitude, suivi d'un athlète Roumain qui ralentira considérablement quelques heures plus tard.
Le départ vient d'être donné pour 24 heures non stop!


Ensuite, nous nous mettons au travail avec un seul objectif, une seule ambition; permettre aux athlètes d'être dans les meilleures conditions pour réaliser une belle performance sportive. A cette heure, si j'avais su le résultat final, j'aurais immédiatement signé des deux mains!



En binôme avec Cindie la kiné, nous nous occupons du ravitaillement d'Anne Marie, Sylvie, Stéphane et Piero. Fred assisté de Julie l'infirmière, s'occupe de Cécile, Nathalie Z, Ludo et Guillaume. Enfin, Patrice assisté de Cyprien le médecin, s'occupe de ravitailler Nathalie D, Christine, Patrick et Thierry. Nous essayons de respecter au plus près les protocoles de chacun.

La température à 10h était de 24°C. Au fil des heures, elle atteindra 27°/28°C à l'ombre et heureusement, le parcours est relativement ombragé pour les athlètes. Nous mettons en place assez rapidement un système d'épongeage devant notre stand, alors que l'organisation et notamment une petite fille propose des glaçons enfermés dans des gants en latex. J'ai découvert cette VIDEO en rentrant chez moi. J'ai trouvé cela à la fois touchant et génial. Cette jeune demoiselle, sans s'en rendre compte je pense, a rendu un grand service à de nombreux coureurs.

Durant les premières heures, les athlètes respectent les consignes données, à savoir ne pas partir à l'allure initialement prévue mais la diminuer de quelques dixièmes de km/h pour amortir les effets de la chaleur qui croît sensiblement. Au niveau du staff, nous avons un petit challenge qui consiste à faire le moins d'erreurs possibles au niveau du ravitaillement par rapport aux protocoles établis. Sauf que cela se complique lorsque trois de tes athlètes sont seulement séparés de quelques mètres. Bien entendu, au besoin, un autre binôme vient en aide si cela est nécessaire. A notre droite, les Finlandais puis les Espagnols, à notre gauche, les Anglais. Chaque nation à son propre mode de ravitaillement et affecte un nombre de coureur différents aux coachs.
















Les premières heures de compétition se passent sans le moindre souci pour nos athlètes bleus de l'équipe de France. Tous sont dans le bon tempo et relativement loin au classement même si je ne dispose pas des données chiffrées. Grace au téléphone et à la tablette de Jean Jacques, le chef de délégation, nous arrivons à suivre régulièrement le tour par tour afin d'obtenir des infos sur les classements tout en sachant qu'à ce stade, cela n'a pas la moindre signification. Sous notre tente, nous restons concentrés mais on plaisante tout de même sur d'éventuels "jokers" ou "cartouches grillées" en cas d'erreur par rapport aux protocoles.

Vers 17heures, le ciel se couvre, le vent se lève, le tonnerre gronde et badaboum! Un bel orage d'une bonne vingtaine de minutes. On rassure de suite nos athlètes en leur disant que ça ne va pas durer même si nous n'en savons absolument rien. Et effectivement, l'orage a cessé quelques minutes après puis est reparti aussi vite qu'il était venu. Finalement, il aura été salvateur pour de nombreux athlètes et j'apprendrai plus tard qu'il aura été synonyme de délivrance notamment pour Stéphane et Patrick.


Piero se plaindra un peu plus tard de ses releveurs; problème sans doute lié au revêtement du parcours. Nathalie Z aura à faire face à des problèmes gastriques. Christine commence à avoir des mollets en béton. Bref, tous les aléas d'une course lorsque tu a déjà parcouru entre 70 et 100km.

La nuit se profile et la température après l'orage est redescendue à une valeur plus convenable pour courir. Les pépins commencent à arriver avec notamment Cécile en perdition du fait de l'absence de la présence de son mari autour du circuit (ce dernier étant parti se restaurer) et avec la fatigue accumulée; c'est un moment difficile pour l'athlète mais aussi pour le staff médical...



Un peu plus tard, ce sera le tour de Nathalie D qui souffre terriblement et qui a ressenti une forte douleur au niveau de la hanche. Le diagnostic de Cyprien n'est guère encourageant mais il est difficile d'envisager un arrêt immédiat lorsqu'un athlète a fait jusqu'alors preuve d'autant de volonté. Nathalie repartira pour quelques heures en marchant jusqu'à ce que l'on puisse lui faire comprendre que son intégrité physique était "en jeu".



Il y aura également Christine qui aura des urines bien rouges et de ce fait forcément inquiétantes pour le médical. Là encore, une immense volonté de sa part pour poursuivre sur le circuit malgré les risques encourus.
Je pourrais également citer Piero et Nathalie Z qui accumulent des tours soit en marchant soit en alternant course/marche.
























Il est 22heures à présent, la mi-course est franchie, et à cet instant, je pense que l'équipe homme est en 3ème ou 4ème position du classement provisoire par équipe et nos filles sont 8ème ou 9ème par équipe.
La température nocturne est correcte car je ne ressens pas le besoin de me couvrir et reste en tee-shirt. Au milieu de la nuit, Cyprien finit par tomber dans les bras de morphée sur sa chaise, tout comme Julie sur son canapé gonflable. J'enverrai mon binôme Cindie se reposer mais prise par la course, le sommeil ne la rattrapera pas. Patrice qui avait déjà suivi des 100 km mais jamais une épreuve de 24 heures tient la barre également et ne cède pas aux appels du sommeil. Il accomplit toujours sa mission de coach-ravitailleur dans la bonne humeur et je dois même le dire, il est à présent tombé dans la marmite du 24heures... Autant que le nouveau référent de la discipline au sein de la FFA apprécie voir adore!




C'est au tour de Thierry de s'arrêter pour cause de "fatigue mentale"; prêt d'une heure passée sous la tente à tergiverser, parler, s'occuper jusqu'à ce que de manière assez virulente mais sans la moindre animosité de ma part, je le renvoie sur le circuit pour poursuivre son aventure du jour en circadie.
Un peu plus tard viendra le tour de Sylvie qui aura besoin d'une NAP (sieste éclair d'une dizaine de minutes après séchage et changement de vêtements accompagné d'un petit café).



Tous les autres continuent à accumuler du kilométrage hormis Nathalie D qui prendra, selon moi, une sage décision.



Vers 3h du matin,  soit 17 heures de course environ, nos gars sont en tête du classement provisoire par équipe. Stéphane est me semble-t-il  en seconde ou troisième position au classement scratch. Il remonte peu à peu et nous pensons bien que le Lituanien qui comptait jusqu'à 15 km d'avance sera repris avant la fin de l'épreuve. Grâce à la complicité de Cindie qui fait le job au niveau du ravitaillement entre soupes, purées et autres demandes spécifiques, je peux me libérer de ma place devant le stand et me rendre quelques minutes, caméscope en main pour faire quelques images et encourager les athlètes de toutes les nationalités toujours en course. C'est un moment privilégié et j'en profite. J'échange également quelques mots avec Guillaume, Pierre Antoine et Nathalie du clan RUEL qui également me procurent des pommes épluchées pour leur papa et mari.



A 18 heures de course, nous informons les gars de la situation et de leur première place au classement par équipe masculine. Nous avons quatre athlètes bien placés côté kilométrage; Stéphane, Ludo, Patrick et Guillaume; il nous reste donc un joker, ce qui signifie que l'un des quatre peut encore défaillir. Piero et Thierry restent en course et sauront être une ressource en fin d'épreuve si nécessaire. Quant aux filles, Anne Marie, Sylvie , Cécile et Christine se retrouvent cinquième ou sixième à ce stade de la course au classement par équipe Nous n'avons pas besoin de lancer les hommes dans une lutte pour aller chercher des places car en restant sur le même rythme, l'écart avec les Anglais et les Allemands se maintient voire s'accroît.







Le lever du jour approche, et les premiers sifflements des oiseaux se font entendre dans ce parc arboré. C'est un moment de la course qu'on apprécie particulièrement lorsque l'on est athlète car le plus dur semble fait, la nuit est passée. Je précise "semble" car ce n'est jamais gagné avant le coup de pistolet final. La température est encore clémente et ne nécessite pas d'interventions particulières.



A ce stade de la course, beaucoup d'estomacs sont en vrac, certains plus que d'autres et depuis fort longtemps; nous faisons de notre mieux au niveau du staff pour fournir aux athlètes des aliments et/ou boissons indispensables pour pouvoir continuer à courir. Autant dire que les protocoles initialement établis ne peuvent plus être suivis à la lettre.



Hélas pour Guillaume, la fin de course se fera à faible allure. Stéphane est à la lutte contre Andréj le Polonais qui le chasse pour le titre Européen individuel. Ludo et Patrick ont intégré le top 10 au classement scratch. Chez les féminines, les Polonaises emmenées par Patricya B sont intouchables. Les Anglaises qui n'ont que trois engagées se maintiennent sur le podium avec parfois des arrêts "stretching" assez particuliers.


Dernière heure de course. Stéphane se fait reprendre par l'athlète Polonais; nous le pressentions et pour l'avoir déjà vu courir auparavant, cela ne m'étonnait guère même si Stéphane s'est employé courageusement avec une stature de course de moins en moins "verticale". A chaque tour des encouragements de la part de tout le staff pour chaque athlète qui passe devant le stand FRANCE.

Il reste environ trente minutes et à ce moment, les dés sont jetés. Stéphane sera vice champion Européen 2018, avec un nouveau record personnel à la clé, Ludo et Patrick complèteront le titre Européen par équipe acquis en 2016 à Albi et de nombreuses fois au cours des éditions précédentes.
Anne Marie, Cécile et Sylvie permettront à l'équipe de France féminine de conserver leur place au pied du podium. Bien évidemment, je n'oublie pas Guillaume, Thierry, Piero, Christine, les Nathalie.
L'ensemble du staff affiche un large sourire; l'équipe de France conserve le titre masculin et sur 12 athlètes engagés, 11 restent en course.

Les petits sacs de sable pour identifier la marque finale sont distribués, les drapeaux sont donnés à Ludo et Stéphane dans leur dernier tour. Il faut peu de chose pour que Stéphane s'emmêle les pieds dans le drapeau et évite une lourde chute au sol. Au niveau du staff, nous nous apprêtons à faire face aux difficultés post course; les malaises et autres soucis physiques.

Dimanche 10h00 : coup de pistolet final. Je pars sur le circuit pour d'une part faire quelques images de ce moment tinté de fortes émotions. C'est la délivrance pour tous!


Je partage à cet instant un moment intense avec Piero qui aura été jusqu'au bout même si son résultat est loin d'être à la hauteur de son engagement et de ses ambitions. Je félicite tous ceux que je croise pour leur belle course et l'engagement de chacun pour la réussite de l'équipe de France. Puis, je pars à contresens sur le circuit pour récupérer et raccompagner à notre tente les athlètes éparpillés sur le circuit.

Les soins médicaux pour certains sont assurés par Cyprien et Julie, le contrôle anti-dopage pour Stéphane accompagné par Fred, les prélèvements urinaires, le rangement du "bazard" sous la tente puis le retour à pied, une nouvelle fois chargé comme des mulets. Il est près de 12h30 lorsque Cindie et moi nous rejoignons l'hôtel en accompagnant des athlètes "claudiquant". Je prends rapidement une douche avant le rassemblement pour un départ en autocar vers le lieu de cérémonie de clôture et de remise des récompenses.


Fred me laissera la joie d'accompagner nos six athlètes masculins sur le podium et je l'en remercie puisque comme il me l'a précisé, il avait déjà eu cet honneur à Albi en 2016. Merci Fred pour ce geste que je ne suis pas prêt d'oublier... Nous entonnerons à pleins poumons, médaille d'OR autour du cou, une Marseillaise sous le regard de toute l'équipe de France. Un pur moment de bonheur et une grande joie dans les yeux de ceux qui ont croisé les miens, embués par l'émotion...






Equipe de France 2018 de 24 heures

Les classements :

Femmes 
1. Patrycja Bereznowska (POL) 243,35 km 
2. Stine Rex (DEN) 241,92 km PB 
3. Małgorzata Pazda-Pozorska (POL) 240,69 km PB
Hommes 
1. Andrzej Radzikowski (POL) 265,41 km PB 
2. Stéphane Ruel (FRA) 263,54 km PB 
3. Aleksandr Sorokin (LTU) 260,99 km PB
Équipe féminine 
1. Pologne 720.45 km 
2. Allemagne 656.24 km 
3. Grande-Bretagne 645.06 km
Équipe masculine 
1. France 754.62 km 
2. Grande-Bretagne 735.15 km 
3. Allemagne 725.96 km

Les résultats complets : MY RACE RESULT


Crédit Photos : Cyprien, Nathalie R. Merci.